Immunothérapie cellulaire universelle et à la carte : l’exemple de la leucémie aiguë
Malgré des progrès incontestables obtenus au cours des deux dernières décennies, les leucémies aigues de l’adulte restent un défi thérapeutique majeur. L’efficacité des traitements conventionnels (comme la chimiothérapie intensive et les greffes de moelle) est réelle mais peut être limitée dans le temps, en raison principalement des résistances acquises par les cellules tumorales. Des stratégies alternatives et/ou complémentaires sont donc indispensables.
L’approche la plus prometteuse consiste à exploiter les propriétés naturelles des lymphocytes T, cellules du système immunitaire, capables, entre autres, de nous protéger contre les infections virales. Afin d’améliorer les capacités de ces lymphocytes à reconnaître et détruire les cellules tumorales, il est possible d’insérer au sein de leurs gènes un code additionnel leur permettant d’exprimer à leur surface un récepteur antigénique chimérique (on parle alors de CAR T cells pour chimeric antigen receptor T cells). Ce récepteur CAR peut être comparé à une serrure parfaite qui cherche « sa clé » à la surface de la cellule tumorale.
Arrivés dans la pratique clinique en 2017, les CAR T cells ont révolutionné le traitement de quelques maladies cancéreuses notamment certaines formes de leucémies ou de lymphomes ou encore le myélome multiple. Mais l’application à plus large échelle des CAR T cells pour le traitement de toutes les leucémies se heurte encore à deux obstacles majeurs.
Un premier obstacle est dû à la grande hétérogénéité des cellules de leucémies, qui ont une apparence très différente d’un patient à l’autre et parfois même chez le même patient. Les CAR T cells actuellement disponibles reconnaissent une seule protéine (ou une seule clé) et sont donc applicables seulement pour des maladies dont l’apparence est très homogène. Un deuxième obstacle découle de la mauvaise qualité des lymphocytes des patients souffrant de leucémies. Ces lymphocytes sont « épuisés » par la maladie elle-même et par les lourds traitements que le patient a reçus.
Les chercheurs des HUG et de l’UNIGE proposent une solution très originale pour surmonter ces obstacles et offrir une approche thérapeutique universelle. Leur stratégie consiste à générer au laboratoire des CAR T anti-leucémies à partir d’une petite population de lymphocytes appelés « invariant Natural Killer T (iNKT) ». Ces lymphocytes, identiques chez tous les êtres humains, ne déclenchent aucune réaction immunologique, et peuvent ainsi être transfusées sans risque d’un individu sain à un patient. Les chercheurs vont donc établir une banque de CAR iNKT cells provenant de divers donneurs. Chaque population de CAR iNKT reconnaitra une protéine (ou clé) bien précise. Cela permettra dans le futur de mélanger des CAR iNKT reconnaissant différentes clés en fonction des caractéristiques de la maladie de chaque patient : un outil universel permettant un traitement à la carte !
La Fondation souhaite soutenir la phase préclinique de ce projet, c’est-à-dire la création des constructions moléculaires et les premiers tests de sécurité et d’efficacité afin de valider le concept thérapeutique innovant des chercheurs. Ces résultats permettront d’élaborer un essai clinique qui sera réalisé en collaboration avec l’Université de Stanford et qui bénéficiera grandement des infrastructures et des compétences lémaniques soutenues depuis des années par la Fondation Dr Henri Dubois Ferrière Dinu Lipatti.